Bataille d’influence autour d’un texte européen controversé


« Les défenseurs de la vie privée parlent très fort. Mais il faut aussi que quelqu’un parle pour les enfants. » En novembre 2021, Ylva Johansson commençait déjà à fourbir ses arguments pour défendre son initiative contre la pédopornographie, qui allait bientôt devenir l’une des propositions législatives les plus controversées que Bruxelles ait connues depuis des années. La commissaire européenne chargée des affaires intérieures s’attendait-elle à ce que cette politique apparemment consensuelle provoque une telle levée de boucliers ?

Le règlement relatif aux abus sexuels commis sur des enfants, connu sous son acronyme anglais CSAR (Child Sexual Abuse Regulation), entend lutter contre la prolifération de matériel pédopornographique grâce à une architecture technique complexe appelée client side scanning (« analyse côté client »).

Cette approche s’appuie sur des systèmes d’intelligence artificielle (IA) pour détecter des contenus relatifs à des abus sexuels ou à des tentatives de manipulation de mineurs dans les images, les vidéos et les messages. Le règlement obligerait la plupart des grandes plates-formes – Facebook, Telegram, Signal, Snapchat, TikTok, jeux en ligne, etc. – à utiliser cette technologie pour scanner l’ensemble de leurs données, y compris les conversations privées de leurs utilisateurs, à la recherche de matériel pédopornographique. Ce qui est impossible sans affaiblir le chiffrement de bout en bout, une technologie qui protège les communications privées, empêchant même les plates-formes d’y accéder.

« Contrôle des tchats »

Les experts et les organisations de défense des droits en ligne n’ont pas tardé à tirer la sonnette d’alarme : sous couvert d’intentions louables – armer les autorités pour lutter efficacement contre la prolifération de contenus pédopornographiques –, ce contrôle des tchats pourrait, selon eux, conduire à une violation disproportionnée de la vie privée de tous les citoyens européens. Ces alertes font douter certains législateurs européens, tant au Parlement – où le texte doit franchir une étape importante avec un vote de la commission des libertés civiles en octobre – qu’au Conseil – où les discussions sont bloquées en raison de l’opposition de quelques Etats membres-clés.

Ylva Johansson n’a pourtant jamais cessé de défendre son projet, qu’elle qualifie de « priorité numéro un », en revendiquant, face aux voix critiques, le soutien de nombreuses organisations de protection de l’enfance qui réclament bruyamment l’adoption du texte.

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Catégorie article Politique

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